Flash-back de 7 ans. Retour à la fin de l'adolescence. Rite initiatique rejoué. A deux, nous repassons, le temps d'une journée, le bac de philo.
Sujet : "
La sensibilité aux oeuvres d'art demande-t-elle à être éduquée ?"
La question de l'éducation artistique est encore plus vieille que le Ministère de la Culture. L'Art doit il être compris ou ressenti ? Les oeuvres ont-elles besoin d'explications pour être comprises ? Faut-il donner aux enfants les clés pour comprendre l'Art ?
L'Art se définit traditionnellement comme l'ensemble des oeuvres esthétiques. Or l'esthétisme n'a pas à s'expliquer. Il relève du canon, des conventions d'une société. Le beau est donc une relation entre l'oeuvre et le spectateur qui n'a pas besoin de médiation. Ainsi on dit qu'une oeuvre,
La Joconde de Vinci,
Hallélujiah de Buckley, l'
Adagio de Barber,
les Sonnets de Ronsart, ou
Apocalypse Now de Coppola, nous prend, nous séduit, nous transporte. Il n'y a rien de cartésien dans la perception de cet art. Il nous procure des sensations, nous inspire des idées, nous fait frissonner, ou nous éblouit.
Et pendant les années Malraux, cette doctrine du "choc esthétique" a prévalue. Selon le premier des ministres de la Culture, l'art a des qualités intrinsèques qui font que face à lui on reçoit sa beauté. Il suffit de mettre le spectateur face à l'oeuvre pour que celui ci l'apprécie.
Pourtant, cette beauté n'est pas universelle. Ce qui aujourd'hui est accepté comme "beau" ne l'était pas hier. Les impressionnistes, avant d'envahir les quais de la Gare d'Orsay ont choqué, ont été ostracisés. Et si Van Gogh, qui aujourd'hui est préampté par l'Etat à plusieurs centaines de millions d'Euros, est mort dans la misère, c'est bien que l'esthétisme de son oeuvre n'allait pas de soi. Le canon du XIXè siècle n'incluait pas encore les alternatives impressionniste et fauviste. Leur admission dans le canon artistique s'est donc fait en deux temps. D'abord les experts qui ont découvert l"intérêt des ses oeuvres, puis une assimilation par la société, qui aujourd'hui s'accorde à dire que
les Nymphéas de Monnet sont beaux. Il y a donc eu évolution du goût. Et cette évolution du goût se fait obligatoirement à travers une éducation aux goûts, spécifique, par l’école, et indirecte, par la transmission de valeurs des parents.
Au cours du XXe siècle, l'abstraction de l'art, notamment de la peinture, s'est accrue. D'abord en ne recherchant pas la reproduction de la Nature, mais celle des sensations. C'est sur cet aspect que ce base l'impressionnisme et le fauvisme. Le réalisme n'est plus le but. Avec ce glissement, à la fin du XIXème, de la reproduction à l'interprétation, le XXème a pu devenir le siècle de l'abstrait avec Mondrian, Picasso, Duchamp. Or, par principe l'abstrait repose sur des codes. On ne cherche plus à montrer l'objet, mais la signification de l'objet, son essence. Quand un peintre italien cherchait à représenter le supplice de Saint Sébastien, il le transperçait de flèches. L'éducation à l'art était alors inutile, puisque c'était le catéchisme qui donnait les symboles. Aujourd'hui, pour comprendre un ballet de Béjart, il faut connaître les intentions créatives de l'auteur, pour ne pas assimiler cela à de la GRS améliorée.
L'art est aussi, comme le montre Bourdieu, un moyen de distinction sociale. Les arts populaires s'opposent aux légitimes. Ainsi, la volonté de démocratisation culturelle passe par un effort d'éducation (dont le but est l'autonomie future de l'apprenant) et de médiation (action in situ et occasionnelle). Dans une optique, partagée depuis plusieurs décennies, de rendre plus populaires les arts élitistes, il faut donner à tous les clés, qui, par la simple socialisation, ne se transmettent que dans les milieux culturellement favorisés.
Ensuite, une fois ses connaissances de base acquises, cela ne suffit pas pour apprécier les formes d’arts. C’est ensuite par la pratique de cet art, et par la consommation des œuvres, qu’on l’on peut s’ouvrir à diverses formes de l’Art. Ainsi, la sensibilité serait comme la mémoire, un outil dont il faut se servir pour l’aiguiser sans cesse. En croisant les arts, en développant son champ d’intérêt, on peut mieux percevoir les subtilités, les influences, les références.
Au final, la nécessité d'apprendre à aimer, de comprendre ses sentiments, dépend beaucoup de l'oeuvre. Il est essentiel d'avoir une éducation minimale, qui passe par la socialisation familiale ou scolaire. L'art et l'esthétique reflétant une société, les normes doivent être un minimum acquis pour que l'ensemble soit perçu. Ensuite, selon la complexité du discours et des connotations, la profondeur de cette éducation varie et peut laisser sa place à la médiation.
Mais ce travail d'éducation, allié à la médiation, est au coeur de la démocratisation culturelle. Mais cette pratique repose sur un paradoxe qui impose une éternelle fuite en avant : l'art, comme composant de la culture, est un élément primordial de distinction sociale ; ainsi plus on démocratisera, plus les groupes sociaux supérieurs chercheront à se distinguer par de nouvelles formes d'art, plus complexes d'accès, et notamment plus connoté, plus abstrait. Aussi, plus on éduquera à être sensible à l'art "difficile", plus les élites aiguiseront leur création et leurs goûts.
Autre production sur le même thème après la
visite du Centre Pompidou
Et dissertation de mon binôme d'épreuve :
http://edern.appere.free.fr/blog
Commentaires
mar., 18.10.2005 19:53
Linux dans l?administration : source d?efficacité
mar., 11.10.2005 21:36
La semaine prochaine je compat irais avec ta douleur Florent ... En attendant, bon courage à toi !
jeu., 06.10.2005 22:28
en voilà un billet de qualité Florent ! (comme la plupart de s billets de ce blog d'ailleur s) Je me suis vraiment f [...]
ven., 09.09.2005 19:38
Il faut donc bien un bac+5 (sa ns compter les anecdotiques a bonnement à Internet Haut Débi t, abonnement à un télép [...]
ven., 01.07.2005 17:12
Je ne connais pas ton controle ur, mais un déficit est un déc ifit. Il est relatif par rappr ot aux dettes étatiques, [...]
ven., 01.07.2005 10:58
Tout ça me fait bien penser à la solution qu'a trouvé Jean-C hristophe Ruffin dans "Globali a" : un revenu pour tous [...]
dim., 12.06.2005 18:31
Sur une idée originale de Flor ent, nous nous sommes fixés le challenge de repasser notre b ac de philo. Nous voici [...]
sam., 28.05.2005 23:05
Je prends ma plume pour vous é crire un mail relatif à l'éché ance du 29 mai. Je crois qu'on se pose tous beaucoup d [...]
jeu., 19.05.2005 00:32
Tout a fait d'accord avec toi sur le dernier film Flo. J'ai trouvé ça...plat, et la fin ét ait vraiment NAZE. le [...]
dim., 15.05.2005 22:45
photos du séjour sur http://fl orent.lajous.free.fr/Marseille
jeu., 28.04.2005 22:01
Ben la vraie vie passe avant t out, et je sais pas depuis com bien de temps ce blog existe, mais c'est normal qu'il [...]
sam., 16.04.2005 19:55
J'ai des passe-temps emcombran ts ces temps-ci Mais j'ess aye de remédier à cette absenc e, promis.
sam., 16.04.2005 15:26
moi j'ai l'impression que la f réquence des posts sur ce blog est de plus en plus étalée... mais que se passe-t-il [...]
lun., 04.04.2005 19:05
"Pourquoi l'arbitre de boxe po rte-t-il un noeud papillon ? « Parce que c'est l'élégant de b oxe.» Heu, au fait, ça f [...]
mer., 30.03.2005 10:38
Le pire est peut-être qu'ils n 'ont pas passé la caméra à un stagiaire cadreur mais à un ca dreur confirmé pour conf [...]